Las Vegas

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J’écoutais il y a quelques semaines Léa Salamé interroger je ne sais plus quelle vedette montante à la nationalité franco-américaine. Quand l’invité a déclaré qu’il habitait Las Vegas, et qu’il ne s’en trouvait pas trop mal, la journaliste vedette a pris le ton compassé qu’elle affecte pour déplorer les idées forcément réacs de Finkielkraut.

«Mais c’est la pire ville des Etats-unis !» s’exclama l’idole des auditeurs bien-comme-il-faut de la radio subventionnée. « Comment pouvez-vous  supporter un tel coin ?»

Léa Salamé jouait sur du velours. Flattant l’oreille de son public gavé du prêt-à-penser convenu, sa protestation venait impeccablement couronner une longue liste de préjugés hexagonaux contre les Etats-unis.

«Vous savez, se défendait mollement le jeune artiste, chez moi on fait des grands barbecues dans la rue avec tous les voisins, il y a des Noirs, des Blancs, des Latinos, mais personne ne le remarque. J’ai l’impression que c’est ici en France que vous êtes obsédés par la race.»

Profitant du silence de la journaliste sans doute occupée à dénicher une formule pure langue de bois adaptée à ces révélations, l’artiste poursuivit :

«Et quand je prends la voiture avec les enfants, à deux heures de route nous sommes à la Valley of Fire, l’un des plus remarquables sites naturels qui soient ».

Je n’ai aucune idée de la qualité de la vie à Vegas et des rapports conviviaux entre voisins d’une même rue, mais je peux confirmer le reste : la cité se trouve au cœur d’une époustouflante collection de beautés naturelles. Imaginerait-on une grande ville en Europe d’où l’on pourrait, d’un coup de voiture, visiter les Dolomites, le gouffre de Padirac, le lac Balaton, le Mont Athos, l’aiguille d’Etretat, les gorges du Verdon et les calanques de Piana ? Il faut se figurer ces lieux déjà admirables encore magnifiés par leur taille démesurée et leur tranquillité souveraine – même l’affluence du Grand Canyon reste somme toute très supportable comparé à ce que l’on vit à Paris sous la Tour Eiffel. Et nul ici n’a eu l’idée de matraquer les automobilistes avec des péages hors de prix. Dans ce coin, les autoroutes sont gratuites, et, pour autant, pas moins bien entretenues que chez nous.

Bien sûr, il reste la ville des jeux. Une même sidération devant l’incapacité à appréhender son environnement saisit le visiteur de Vegas et celui des grands parcs. Pour le reste, tous les oppose. Fini le temps des contemplations des mille splendeurs rocheuses mises en relief par un soleil rasant : la grande ville du Nevada ensevelit le promeneur sous une déferlante d’enseignes, de décibels et de bling-bling.

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Des airs d’Apocalypse Now : le volcan du Mirage entre en éruption

Malgré tout, il y a quelque chose, aussi étranger soit-on – c’est mon cas – aux attraits de la vie de flambeur, qui retient l’attention à Vegas. Un tel flamboiement dans l’exceptionnel parvient à susciter chez le plus blasé un intérêt sincère. A chaque casino sa spécialité. Au Mirage, un volcan éructe chaque soir des jets de lave. Les immenses fontaines du Bellagio entrecroisent leurs jets en figures complexes. D’autres hôtels misent sur l’exotisme : Luxor avec sa pyramide presque aussi haute que celle de Khéops, Paris et sa Tour Eiffel à l’échelle d’un demi, l’Inde et ses sortilèges au Mandala Bay et une statue de la Liberté en modèle réduit (46 mètres de haut quand même) au New York-New York. Ici, Manhattan est aussi exotique qu’un pays étranger.

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Les fontaines du Bellagio, en face de l’hôtel-casino Paris

Dans le vieux Vegas, une rue entière a été recouverte d’une voûte qui est en réalité un écran de télévision. Oui, une télé qui fait une rue de long, et sur laquelle défilent des programmes psychédéliques, alors que des visiteurs se laissent glisser au long de tyroliennes dans cette même Fremont Street. A deux pas de là, une énorme mante religieuse tient la pose, parcourue d’éclairs inquiétants le long de ses arêtes. Quand elle commença à s’animer sans préavis au son de la 5e Symphonie de Beethoven revisitée par Walter Murphy et à cracher un feu de tous les diables par ses antennes, je revécus le choc de mon enfance provoqué par le frémissement du géant Talos dans Jason et les Argonautes, le classique de Don Chaffey.

Mais le divertissement boum-boum n’est pas le seul atout de cette ville. Le MOB Museum, consacré à la Mafia, est l’un des plus remarquables musées qui soient, instructif et divertissant malgré la gravité du sujet. Et l’on mesure le courage qu’il faut à un pays pour exposer ainsi sans complaisance l’une de ses plaies profondes – crimes, trafics et corruption politique – et toujours d’actualité, la Cosa Nostra ayant repris sa croissance après 2001, quand l’effort des autorités s’est recentré sur le terrorisme islamique.

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The MOB Museum

Las Vegas, comme d’autres grandes cités d’Amérique, est le fruit d’une liberté exacerbée. C’est loin d’être la seule : ainsi et par exemple, Los Angeles, San Francisco, San Antonio, New York ont choisi d’exploiter cette liberté, mais de façon à chaque fois différente, de sorte que chaque ville possède un cachet unique et, pour nous qui venons d’outre-Atlantique, toujours déroutant.

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