Graceland, Elvis, le kitsch et les canards

Graceland, la foire à Elvis. Autant jouer cartes sur table : je ne suis pas un fan, né trop tard pour comprendre la folie des années Presley. Rien ne m’incitait à mettre un jour les pieds dans ce sanctuaire.

Habits de lumière

Habits de lumière

Sa démesure frappe l’esprit. Le quartier reconstitué à la façon des années 60 est sensationnel. On s’y croirait ! Derrière chaque porte, une exposition thématique : les costumes d’Elvis, les disques d’Elvis, les voitures d’Elvis, même un véritable cinéma où passent en boucle les très périssables films du chanteur. Sam Phillips, l’homme des studios Sun qui lança le jeune « Blanc qui chantait comme un Noir », n’est heureusement pas oublié.

De quoi choper la grosse tête

De quoi choper la grosse tête

On reste baba devant l’accumulation des habits de scène passant du cow-boy au motard 100% cuir avec toutes les variations imaginables de paillettes, pattes d’ef et cordons d’uniformes.

Rosé, rosé Joséphine

Rosé, rosé Joséphine

Un autobus nous emmène visiter Graceland, à deux pas de là. Si la maison historique du chanteur ne paye pas de mine, son intérieur aux mille détails met le regard à rude épreuve. Tout est impeccablement rangé pourtant, mais nulle part les yeux ne peuvent se reposer de cette accumulation digne d’un maniaque.

Guitare, nounours et grosses tentures

Guitare, nounours et grosses tentures

Le chanteur chérissait les décorations envahissantes, les tentures pesantes, les enfilades de bibelots aussi lourdes que les sandwiches banane-beurre de cacahuète qu’il s’ingurgitait sur la fin. Cette luxuriance ravale Valérie Damidot au rang d’une décoratrice spartiate. On sort de là un peu troublé d’avoir approché une intimité dérangeante.

Pourquoi se gêner !

Pourquoi se gêner !

La tombe du maître, entourée par celles de ses proches, est veillée par un christ benoîtement nommé « Presley ». Pourquoi se gêner !

L'un des joujoux roulants

L’un des joujoux roulants

Il me vient à l’esprit que je contemple la collection d’un gosse aimant les tutures aux couleurs éclatantes, les nounours et les gros avions. Un affreux jojo qui n’hésita pas à flinguer par deux fois une bagnole indocile, mais un ami fidèle et généreux. Un type à la fois rebelle et très respectueux de la loi. Un indocile entré dans le rang, selon toute vraisemblance bon père de famille et sans doute poussé vers sa fin par la démesure de son destin.

Mur des çons

Mur des çons

Curieusement, Elvis avait pris l’habitude d’introduire ses concerts par le début d’Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss, rendu populaire grâce à 2001, l’Odyssée de l’Espace. La légende (non confirmée lors de la visite) veut que le roi Elvis perdît la vie sur le trône, ce qui sonne drôlement quand on sait la place des waters dans l’oeuvre de Stanley Kubrick. Plus fort encore, le drame de ce maître du kitsch périssant dans la fange entre en étroite résonance avec la pensée kunderienne. Cela dit, je ne saurais affirmer si les fans d’Elvis apprécient Kundera.

Nous n’en avons pas fini avec le kitsch. A l’hôtel Peabody, la foule se presse autour d’un événement capital : la marche des canards. Ce n’est, hélas, pas une blague. Chaque jour à 17h, un quidam est dûment cornaqué par un majordome en grand uniforme, sobrement nommé duckmaster, et dont la parure écarlate semble sortie du musée Elvis. Sa mission : guider au long d’un tapis rouge les canards qui pataugent dans la fontaine du rez-de-chaussée jusqu’à l’ascenseur. Direction le toit, où les volatiles passeront la nuit dans une cahute 5 étoiles.

On s’attendrait davantage à croiser un duckmaster ou « maître des canards » à Fort Boyard, mais ici ce cauchemar de bouffon est pris très au sérieux. Le quidam, quant à lui, sourit d’un air gêné et se déplace comme un automate. Peu semblent compatir à la honte de ce pauvre type qui doit se maudire d’avoir accepté cette exhibition et s’emploie maintenant à guider les volatiles tel un Robocop de basse-cour. On imagine ce père de famille succombant de guerre lasse à l’insistance de ses proches (« Tu pourrais faire ça pour les gosses ! Allez, Papa ! ») quand il ne demandait qu’à lire peinard son journal (peut-être le Canard Enchaîné ?).

Ce ne serait pas si grave si une meute de badauds ne se pressait autour de l’événement, braillant, gloussant, caquetant, en hérissant des smartphones qui empêchent les photographes incrédules d’immortaliser ce naufrage de la civilisation.

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